5 janvier 1945

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Transcription

L’expérience la plus dure que j’ai vécue c’est quand je me suis fait descendre. La mission était à Hanovre [Allemagne]. Avant chaque mission on se rassemblait tous les équipages et on s’enfermait dans une pièce. Ils nous disaient, « Ce soir vous allez bombarder Hanovre ». Les officiers qui étaient là nous disaient à quelle hauteur nous devions voler rendu à telle hauteur vous tournez à droite, un autre degré, une autre direction, et ainsi de suite… [on] zigzaguait.

Sans rentrer trop dans les détails, l’avion qu’on m’a donné ce soir là avait vu beaucoup de missions. J’ai hésité quand j’ai vu cet avion-là. Même après le test, comme on faisait avant de partir, on faisait l’inspection du bombardier. On faisait partir le moteur et ainsi de suite. On montait, il commençait à faire noir. J’ai remarqué que le tuyau d’échappement intérieur gauche rougissait. C’était la noirceur totale en Angleterre, en Allemagne, partout, pendant la guerre. Donc si vous allumez une allumette à 18 000 pieds ils vont vous voir en bas. Et maintenant j’avais mon tuyau d’échappement! J’ai averti l’équipage. Vigilance et vigilance ! Il n’était pas question de retourner.

En vol on laissait tomber des plaquettes de métal pour brouiller le radar des Allemands. Mais étant visibles, ça ne nous aidait pas du tout. J’ai eu un pressentiment et j’ai serré les courroies de mon parachute. Parce qu’on desserrait les courroies pour ne pas rester assis dessus pendant tout le vol. Aux contrôles, cela devenait très irritant à la longue. Mais j’ai eu un pressentiment et j’ai serré mon parachute. J’ai averti les mitrailleurs, disons que quatre ou cinq minutes avant d’arriver à la cible.

On voyait les fusées en bas, nous étions très près de la cible. Soudainement à gauche – disons à dix heures sur votre montre, ou environ 345 degrés peut-être – un chasseur est arrivé. On ne le voyait pas, mais il a laissé tomber des fusées blanches, des fusées-parachute en ligne devant nous, cinq ou six, et ça descendait lentement. J’étais ébloui. On ne l’a jamais vu, le chasseur. Soudainement l’avion a sursauté. La DCA [défense contre-aérienne] a éclaté en dessous. J’avais toutes mes bombes, et on a été soulevé comme une feuille de papier. Je n’exagère pas. On a monté de plusieurs pieds. Les instruments étaient tous à l’envers. Quelques secondes après, le chasseur a tiré dans nos réservoirs à essence et l’avion a pris feu immédiatement.

Tout le monde a sauté et ensuite il restait juste moi. J’ai manqué d’oxygène pendant ce temps là. J’ai eu un peu de difficulté à sortir. Quand on manque d’oxygène nos gestes sont beaucoup plus lents. Finalement, j’ai atteint la trappe par laquelle nous sortions à l’avant. Les mitrailleurs avaient eu de la facilité à sortir. Je suis sorti de peine et de misère.

Je me suis fait descendre le 5 janvier, 1945, en plein hiver. Nous étions dans le centre de l’Allemagne à Hanovre, qui était presque en ligne avec Berlin. Les Alliés n’avaient pas encore traversé le Rhin. Les Russes avaient avancé, mais ils étaient encore loin. C’était mon devoir d’essayer de me sauver. Je me suis dirigé vers le nord, vers Amsterdam. J’ai marché, car il n’était pas question pour moi de m’étendre pour la nuit en plein hiver. C’était notre devoir. C’était automatique. J’ai été un peu audacieux. J’ai contourné un bosquet pour retrouver un petit chemin qui s’en allait vers le nord. Immédiatement sont sortis deux gardes, des jeunes, armés de mitraillettes. J’ai été fait prisonnier.

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